Les personnes sans abri et leurs chiens

Nous rencontrons tous, dans nos villes, des personnes qui vivent dans la rue avec leurs chiens. Ces derniers sont pour la plupart calmes et ont une bonne relation avec leur maître.
Chacun d'entre nous s'est cependant demandé si le chien ne rendait pas leur vie encore plus difficile sur le plan matériel et social ? Quelles structures acceptaient de les accueillir ? De les accompagner ? Vers quelle possibilité d'insertion ?

Des acteurs politiques, sociaux et médicaux s'interrogent. Des structures se mettent en place avec, le plus souvent possible, la participation des personnes concernées. Des recherches sont effectuées pour aider à analyser différentes situations. Par exemple, celles qui ont été réalisées par Christophe Blanchard , doctorant en sociologie, et Isabelle Garcia, assistante sociale. Des étudiants de l'École Nationale Vétérinaire de Lyon et leur professeur, Catherine Escriou, ont décidé d'apporter aux chiens des soins médicaux. Birgit Jonceray, responsable de la Maison de Rodolphe, et une équipe de professionnels et de bénévoles, ont mis leur savoir-faire au service de ce nouveau lieu d'accueil, à Lyon.

Qui sont les personnes SDF accompagnées de chiens ?

Il y a des différences entre les jeunes errants (17 à 35 ans) accompagnés de chiens et les personnes SDF plus âgées, qui possèdent également des animaux. Les plus jeunes se retrouvent facilement en groupe. Il n'est pas rare que chacun ait plusieurs chiens, parfois apparentés. Ils fréquentent les mêmes lieux : gares, centres commerciaux, jardins, festivals. Peut-être moins mobiles que les routards des années 70 - ne serait-ce que pour le prix du voyage, surtout avec des chiens - ils sont davantage "fixés" dans les villes.

Il faut de toute façon, pour les rencontrer, établir avec eux une relation de confiance et connaître leurs lieux de vie : squats, accueils de jour, restaurants sociaux, hébergements d'urgence, et agir dans le cadre d'une action bénévole en synergie avec les travailleurs sociaux. Le fait d'être maître-chien a facilité le contact de Christophe Blanchard avec ces jeunes qui lui demandent régulièrement des conseils.

Même si on peut parfois l'imaginer, ce ne sont pas des créateurs conscients d'un nouveau style de vie, mais plutôt les victimes d'un affaiblissement des liens sociaux.

Le chien : un frein pour l'insertion ?

Quel que soit l'âge des personnes SDF, les chiens sont plus ou moins bien perçus par une partie de la population : impression qu'ils sont utilisés pour faire la manche "on voit bien que ces chiens ont l'air malheureux" , surtout si leurs maîtres revendiquent leur liberté de mouvement en affirmant qu'ils "sont heureux comme ça"

Les lois de 1989, 1999, 2008, offrent tout un arsenal de sanctions et renforcent le pouvoir de police des maires pour réglementer les problématiques liées aux animaux. Si le dialogue entre les propriétaires des chiens et les pouvoirs publics est impossible, ces derniers prennent des mesures - amendes, mise en fourrière - dont les répercussions sont importantes pour les personnes SDF : stress, agressivité, dépenses qui s'ajoutent à l'ensemble de leurs difficultés financières.

Leurs conditions de vie les amènent plus ou moins rapidement à consulter les services sociaux. Mais il peut arriver qu'un professionnel de ces services estime qu'il doit accompagner la personne et pas son chien. Et pourtant, "en s'occupant de la bête, ne s'occupe-t-on pas aussi de l'homme ?"

Le chien comme élément de médiation

Pour les jeunes adultes vivant en groupe, le chien représente une marque d'appartenance, un élément régulateur du groupe. Il facilite l'intégration à une communauté, permet de cimenter les rapports entre propriétaires qui établissent un système de relations familiales complexes où les liens de parentés canines sont connus et évoqués lors des rencontres.

Comme a pu l'analyser Christophe Blanchard durant ses enquêtes, les chiots nés des accouplements sont donnés aux membres de la communauté : chacun a un parrain ou une marraine à l'intérieur du groupe. "Je ne suis ici que depuis 4 mois, mais je suis déjà le tonton de tous les chiens".

Pour les jeunes comme pour les plus âgés, la responsabilité du chien a une grande importance et valorise son maître. "Nos chiens sont toujours bien traités et bien nourris". Il n'est effectivement pas toujours facile de trouver tous les jours sa propre nourriture et celle de son compagnon : il arrive que les maîtres se privent pour le chien. Mais c'est parfois aussi la motivation principale pour essayer de sortir de la problématique de l'alcool et de la drogue.
Avec les conseils d'éducateurs, de vétérinaires, d'étudiants vétérinaires qui peuvent compter sur l'appui de l'École, des coopératives, laboratoires et syndicats vétérinaires, un certain nombre d'entre eux tiennent à jour les carnets de santé, vaccinations, vermifugation, identification, soins préventifs et curatifs des chiens. Et lorsque les personnes s'intéressent au bien-être de leur chien, elles se préoccupent aussi de leur propre santé, consultent une infirmière ou un médecin.

Pour les aînés, le chien est souvent le seul compagnon fidèle en toutes circonstances. Il oblige son maître à garder ou retrouver des repères temporels et des liens sociaux. Ce sont aussi des auxiliaires dissuasifs dans un contexte urbain difficile, tout en n'étant généralement soumis à aucun entraînement spécifique de la part de leurs propriétaires. " Lorsque tu dors tout seul dehors, tu es bien content d'avoir tes chiens avec toi. Ils te protègent et surtout ils te tiennent chaud."

Facteur d'insertion ou source d'exclusion ?

Il y a peut-être en chacun d'entre nous des parts plus ou moins conflictuelles de désir d'insertion et d'angoisse devant un changement de vie. Ces conflits sont exacerbés lorsque des personnes sont fragilisées, marginalisées. Les services sociaux connaissent cette difficulté et tiennent de plus en plus compte de la globalité de la personne, dont l'animal fait partie. Ils tiennent compte aussi du parcours individuel de ceux qu'ils accompagnent en les aidant à surmonter les obstacles, les appréhensions, et à trouver des réponses adaptées à leurs besoins spécifiques.

Un des obstacles les plus importants est certainement l'accession au logement. Il semblerait au premier abord que le chien ne va pas faciliter cette accession pourtant indispensable pour la santé, la vie sociale et professionnelle.
Mais le fait d'être responsable du chien peut aussi encourager la personne à entreprendre les démarches nécessaires , avec l'aide d'une équipe de travailleurs sociaux et de bénévoles prenant en considération le rôle du chien. Celui-ci devient alors un moyen d'entrer plus facilement en communication avec la personne, d'obtenir sa confiance et de dissiper ses craintes. Par exemple, travailler avec un éducateur canin sur la place du chien dans un logement fait découvrir au chien et à son maître qu'ils sont capables de s'adapter à des situations nouvelles. On échange des expériences dans des groupes de parole, on apprend à connaître ses droits dans des réunions d'information.(par ex. loi du 09/07/70 : "Est réputée non écrite toute stipulation tendant à interdire la détention d'un animal dans un local d'habitation dans la mesure où elle concerne un animal familier. Cette détention est toutefois subordonnée au fait que ledit animal ne cause aucun dégât à l'immeuble ni aucun trouble de jouissance aux occupants de celui-ci" (avec , en 1999, une restriction pour les chiens de 1ère catégorie).

La maison de Rodolphe

Un nouveau lieu d'accueil vient d'être créé à Lyon. Il fait partie des 37 structures du foyer Notre Dame des Sans Abri qui s'adapte, depuis 1950, aux difficultés des personnes isolées, des couples et des familles. Les bénévoles et les salariés du foyer leur proposent un accueil de jour, des ateliers d'insertion, un accompagnement psychologique, social, médical, professionnel. Quatre hébergements d'urgence sont ouverts à toute personne à la rue et orientée par la Veille Sociale Téléphonique 115.

La Maison de Rodolphe, constituée de 3 bâtiments modulaires, basse consommation, offre 30 places aux familles et 10 places aux "passagers" avec un ou 2 chiens. Ceux-ci sont obligatoirement tenus en laisse, mais non muselés. Ils peuvent passer la nuit dans la chambre de leur maître qui sera fermée dans la journée pour encourager la personne dans ses démarches. Pendant ce temps, les chiens peuvent rester au chenil, ce qui les prépare à de petites séparations et renforce la confiance entre le maître et le chien.

Les "passagers" sont des hommes d'une quarantaine d'années en moyenne. Ils sont accompagnés - non assistés - par les responsables, éducateurs, assistante sociale, infirmière, médecin généraliste, et les "travailleurs pairs" qui valorisent là leur connaissance de l'exclusion. Avec les 15 salariés, beaucoup de bénévoles : vétérinaire, coiffeur, un éducateur canin dont le rôle est de conseiller les éducateurs du foyer qui travailleront ensuite sur les relations avec le chien, et tous ceux qui vont contribuer à créer des liens dans différentes situations : distribution des repas, aide aux devoirs, activités artistiques, salle de jeux, ateliers pour la santé, la gestion du budget...

On tient à accueillir avec dignité la personne et son animal. Chacun respecte volontairement un certain nombre de règles vis à vis d'autrui et de soi- même (interdiction de l'alcool, de la violence et des stupéfiants). Bénévoles et salariés suivent le projet des "passagers" , l'évaluation de leur situation, leurs choix d'orientation, la possibilité d'un logement qui suppose une obligation de ressources et, pour certains, une situation régulière sur le sol français.

Cette vie en collectivité nécessite des concessions importantes, mais librement choisies par ceux qui sont plutôt des solitaires. L'objectif pour chacun est, dans la mesure de ses possibilités du moment, d'être autonome, de se raccrocher au "milieu ordinaire" et de trouver son "mieux- être", ou au moins plus de "bien- être" ...


Le nom de Rodolphe a été donné à la Maison en souvenir de Rodolphe Mérieux, décédé. Le projet de la Maison de Rodolphe n'aurait pu être réalisé sans le soutien de Alain Mérieux qui en a eu l'idée et qui en est le mécène.

Liliane Gasparini


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